Article – Avons-nous le Sexe Triste ?

La vie sexuelle de Catherine M.,Pornocratie, Putain, La Pianiste: en littérature comme au cinéma, on assiste actuellement à une surenchère de sexe hard, triste ou cru. Les auteurs, réalisateurs ou personnages de ces oeuvres sont… des femmes. Analyse d’un phénomène qui tient certainement du commerce, probablement de l’audace exploratrice, et qui a sans contredit atteint des sommets. 

sexualité

«Mortuaire». C’est le mot qu’emploie spontanément la sexologue Jocelyne Robert pour décrire la sexualité qu’on rencontre dans Putain, de Nelly Arcan (Seuil) et La vie sexuelle de Catherine M., de Catherine Millet (Seuil). «L’homme est réduit à une queue qui bande et la femme, à un certain nombre d’orifices à remplir, dit-elle. On est bien loin de l’éros, qui est un mouvement vers la vie, la capacité de s’émouvoir, de chavirer!»

«L’homme est réduit à une queue qui bande et la femme, à un certain nombre d’orifices à remplir.»

Bien vrai qu’on ne tombe pas dans le romantisme dans les partouzes d’échangisme que dépeint Catherine Millet (sur le même ton qu’elle narrerait une opération à coeur ouvert), où des dizaines d’hommes lui «passent» sur le corps l’un après l’autre. Encore moins dans les chambres closes où le personnage de Nelly Arcan est la plus triste des filles de joie, indifférente aux hommes à qui elle ouvre les jambes, poursuivant son lancinant monologue intérieur sur son obsession de la beauté, sur son père qui pourrait être un client et sur sa larve de mère. Et que dire de Pornocratie, de Catherine Breillat (Denoël), dans lequel une jeune femme paie un gai pour regarder son corps avec «impartialité»? Il finira, malgré le dégoût que lui inspire son sexe, par la désirer et… l’assassiner. «Ce sont des récits différents, mais qui ont en commun de nier la relation, de mettre à mort l’intimité!», explique Jocelyne Robert.

 Les scènes sexy au cinéma

Le cinéma n’échappe pas à la tendance. Dans La Pianiste, récent film de Michael Haneke (d’après un roman écrit par une femme), Isabelle Huppert joue le rôle d’une professeure de piano à la sexualité tordue. Elle se taillade le sexe avec une lame de rasoir, grimpe sur sa mère avec des intentions troubles et implore son jeune amant de la violenter. Cent fois plus dérangeant que Baise-moi, de Virginie Despentes, dans lequel deux jeunes femmes se vengent de la violence des hommes.

Dans les cinémas qui ont présenté La Pianiste, à Montréal, on rapporte des malaises et des évanouissements. Le complexe Ex-Centris a même dû interrompre une projection! Vous avez le coeur bien accroché si vous sortez de la salle sans avoir la nausée…

L’auteure et animatrice Denise Bombardier (Parlez-moi des hommes, parlez-moi des femmes, SRC) en a marre des représentations actuelles de la sexualité féminine. Elle en déduit que nous avons le sexe bien triste, en 2002. «Je trouve cela déprimant! Ce n’est jamais jubilatoire, il n’y a pas de plaisir! C’est dégradant, chirurgical!, s’exclame-t-elle. On était critique envers les hommes qui faisaient de la porno. Je ne vois pas pourquoi ce serait plus vertueux lorsque ce sont des femmes qui la font!».

Même son de cloche chez la sexologue Jocelyne Robert, qui déplore l’absence totale de sensualité dans ces oeuvres. «L’érotisme est dans les fantasmes, dans l’anticipation, dans ce qui se gonfle et se boursoufle en nous quand on pense à l’autre; il est dans le désir, pas dans la réponse au désir qu’on décrit là!»

La plupart des commentaires qu’on entend autour de soi vont dans le même sens. On trouve ces oeuvres «lourdes», «vides», «froides», «cliniques» et on en parle avec un petit rictus d’écoeurement. Pourtant, Catherine Millet et Nelly Arcan ont figuré plusieurs semaines sur les listes de meilleurs vendeurs! Selon le magazine Paris Match, 300 000 exemplaires de La vie sexuelle de Catherine M. ont été vendus (10 000 par jour au printemps 2001, rapporte L’Express). Les lecteurs qui n’en avaient pas assez pouvaient en plus acheter Légendes de Catherine M., dans lequel la reine des partouzes, photographiée par son compagnon de vie, apparaît nue dans des lieux publics!

Catherine Millet ne le cache pas: tout ce qu’elle raconte dans La vie sexuelle de Catherine M.– le sexe avec de multiples partenaires, le sexe dans des endroits publics, dans des réunions sociales pour contrer l’ennui – lui est vraiment arrivé. Nelly Arcan, elle, laisse planer le doute. L’étudiante prostituée dont elle raconte l’histoire dans Putain, est-ce vraiment elle? Elle se plaint de ce que les gens s’interrogent sur son identité au lieu de remarquer la qualité littéraire de son texte. N’empêche que le mystère reste la meilleure des stratégies de marketing.

Au dernier Salon du livre de Montréal, la file était interminable devant la table de signature de la jeune et très sexy écrivaine. Les cous s’étiraient pour apercevoir son pull moulant bleu poudre, ses cheveux blonds remontés en chignon serré comme ceux des patineuses artistiques. «C’est elle! Elle est donc ben belle!», pouvait-on entendre. «ll y a quelque chose de fascinant à imaginer ces bourgeoises intellectuelles sucer des bites et lécher des culs», fait remarquer Jocelyne Robert. Fascinant dans l’immédiat, certes. Mais est-ce que ces oeuvres vont traverser le temps?

De l’avis de Denise Bombardier, leur principale raison d’être est commerciale. «On ne se racontera pas d’histoires, c’est un « business », le cul! Et ces femmes ont décidé d’y participer», affime-t-elle. Mais n’y a-t-il que cela? Ces artistes ne proclament-elles pas aussi l’égalité des hommes et des femmes en osant parler avec honnêteté de tous les aspects, même les plus sombres, de la sexualité féminine?